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Douleur

La douleur est un message d’alerte...

LA DOULEUR EST UN PHÉNOMÈNE UNIVERSEL

Tous les humains connaissent la douleur, car elle fait partie de la vie normale. Et la douleur est une sensation bénéfique.

La douleur est un message d’alerte : elle a pour fonction de nous indiquer que nous sommes menacés : ce qui fait mal ce sont les agressions. Par exemple, si je saisis la peau du dos de ma main entre deux doigts, je sens que mes doigts serrent ma peau. Si je renforce la pression, la sensation se renforce. Mais passé un certain seuil, la sensation devient désagréable, et me donne envie de ne plus serrer : la pression est devenue pincement. C’est toujours la même sensation, mais elle est devenue douloureuse, ce qui m’indique que si je continue à renforcer la pression je risque d’abîmer ma peau. Le fait que la douleur soit désagréable est nécessaire à son efficacité : si les messages d’alerte étaient agréables on n’en tiendrait pas compte. Il existe des gens qui ne savent pas percevoir la douleur ; leur espérance de vie est d’une trentaine d’années.

Mais la douleur est aussi un phénomène social et culturel.

On sait qu’il existe des civilisations où la douleur est valorisée : on n’est un homme qui si on est capable de supporter la douleur. Il en existe d’autres où elle est sanctifiée : la douleur doit être acceptée comme une punition [1]. Au fond il n’y a pas une si grande différence entre ces deux positions : dans la seconde la douleur est l’occasion de se purifier, dans la première elle est l’occasion de progresser [2]. Il y en a d’autres enfin où elle est dévalorisée : toute douleur est mauvaise et doit être combattue.

Notre civilisation occidentale est passée en gros de la première situation à la troisième. Pendant longtemps, disons depuis le XVIIe siècle, on a pensé que la douleur était à supporter, plus ou moins pour prix de ses péchés. Il y aurait à réfléchir là-dessus : on est bien forcé de noter que le combat contre la douleur est historiquement contemporain de la libération des mœurs et, pourrait-on dire du combat contre toute contrainte... La lutte actuelle contre la douleur apparaît culturellement comme le pendant de la déculpabilisation, et il se peut qu’il y ait quelque chose d’irraisonné dans notre phobie de la douleur. Cela ne signifie pas qu’il faut renoncer à la combattre, mais simplement que rien ne nous permettra jamais d’arrêter de réfléchir.

Il est très important de garder à l’esprit ce problème culturel. Car le combat contre la douleur a débuté voici une trentaine d’années, et ce combat ne fait pas partie du monde culturel de la personne âgée. Cela explique beaucoup de choses dans son comportement face à la douleur, on reviendra sur ce point.

LES MÉCANISMES DE LA DOULEUR

Pour que la douleur apparaisse il faut un récepteur, un nerf, un centre.

1) Le récepteur est une structure située sous la peau, dans un organe, sur un tendon... Il est spécifiquement sensible à certaines excitations (chaleur, pression, étirement, frôlement, substances chimiques fabriquées par le corps...).

Tous les récepteurs, quand ils sont trop excités, transforment la sensation en douleur : c’est ce qui explique le phénomène du pincement décrit plus haut ; quand c’est chaud, c’est chaud, quand c’est très chaud, cela brûle. Mais il existe aussi des récepteurs qui n’envoient que des messages douloureux : ce sont les terminaisons libres, qui sont mises en jeu par exemple en cas de coupure.

Naturellement, si le récepteur est détruit, il n’y a plus de message. C’est pourquoi les brûlures les plus graves ne sont pas les plus douloureuses.

Il y a des récepteurs un peu partout, mais curieusement pas toujours là où on pense : par exemple il n’y a pas de récepteurs dans le cerveau : le mal de tête est d’origine cutanée, musculaire, ou méningée, et c’est pourquoi il est possible d’effectuer des interventions neurochirurgicales chez le malade conscient ; il n’y en a pas non dans le poumon : la douleur est bronchique ou pleurale.

2) Le nerf se contente de transporter l’information. Si le nerf est détruit ou endormi, il n’y a plus de message. D’autre part le nerf est responsable d’une zone précise du corps. S’il transporte un message douloureux, il va donc situer la douleur dans cette zone. Dans la sciatique, la lésion se situe dans la colonne vertébrale, et c’est la compression du nerf qui crée le message. Mais comme le nerf comprimé est le nerf responsable de la jambe, c’est la jambe qui sera douloureuse. De même dans l’infarctus, les récepteurs stimulés sont au niveau du cœur, mais il existe des connexions entre le nerf sensitif du cœur et celui du bras. Ou encore, l’arthrose de hanche fait mal au genou...

3) Le centre se situe dans le cerveau. C’est lui qui perçoit la douleur, et qui déclenche la réaction.

IL Y A TROIS TYPES DE DOULEUR

  • La douleur par atteinte du récepteur :

C’est la douleur qui survient quand le récepteur est excité au-delà d’un certain seuil : c’est ce qui arrive en cas de coup, de brûlure, de piqûre... C’est ce que nous appelons ordinairement la douleur. On l’appelle douleur par excès de nociception. Elle est toujours sensible aux traitements habituels, le seul problème est de trouver le bon médicament, et surtout la bonne dose.

  • La douleur par atteinte du nerf :

On a dit plus haut que si le nerf est coupé il n’y a plus de message, mais c’est faux : en réalité un nerf ne sait pas se taire : il envoie toujours des messages. Si on le coupe, ou si on l’abîme, il ne peut plus envoyer ses messages normaux. Il va alors inventer un message, et ce sera un message douloureux. C’est le cas du zona, des amputations, de la névralgie faciale, des traitements anticancéreux (qui ont souvent pour effet de léser le système nerveux). C’est une douleur de déafférentation. Les traitements habituels sont inefficaces, et il faut recourir à des médicaments qu’on utilise habituellement pour autre chose, notamment les anti-épileptiques et les antidépresseurs.

  • La douleur par atteinte du centre :

La réaction à la douleur n’est pas la même selon les cerveaux. Il y a des cerveaux plus sensibles que d’autres. Dans certaines circonstances le cerveau est même capable de fabriquer des messages douloureux. On parle alors de douleur psychogène. Le traitement est essentiellement psychologique, même si quelques médicaments peuvent aider.

Quel que soit le lieu de l’atteinte il s’agit de douleur.

Le plus souvent d’ailleurs la douleur est mixte, mélangeant les trois mécanismes.

QUAND PARLE-T-ON DE DOULEUR ?

La grande modification dans notre approche de la douleur est un changement d’attitude. Jusqu’à une période récente le problème était de savoir si le malade qui se plaignait avait mal ou non. C’est cela qui a changé, et désormais il est interdit de contester la parole du malade. Par définition, le malade qui dit « j’ai mal » a mal.

C’est une révolution, et elle ne va pas de soi. Jusqu’ici en effet la douleur était évaluée en référence à sa cause, et il ne faut pas se cacher que c’était une position très légitime : on savait parfaitement évaluer la douleur. Les chirurgiens savaient que la chirurgie ORL est plus douloureuse que la chirurgie digestive, parce que les structures nerveuses du cou sont plus denses que celle de l’abdomen ; et les anesthésistes savaient bien que pour maintenir au malade endormi une tension régulière (la tension monte en cas de douleurs) il fallait plus de morphine dans certaines interventions que dans d’autres ; on savait même que certains chirurgiens, plus brutaux que d’autres, augmentaient la consommation de morphine du malade, même endormi. La douleur était donc supposée avoir un niveau donné, et toute la question était de savoir pourquoi il y avait des malades qui se plaignaient plus que d’autres ; on répondait qu’il y a les douillets et les courageux. Maintenant les choses ont changé : on préfère dire que le cerveau de certains sujets a une sensibilité particulière à certains médiateurs de la douleur (qu’on se garde bien de préciser) : les douillets sont devenus des hyperalgiques ; on reconnaît là le mécanisme du politically correct...

Bref on n’a plus à discuter la parole du malade, et le seul problème du soignant est de répondre à trois questions :

  • Où ? Quelle est la zone qui fait mal ? Cette question doit être envisagée en se souvenant des pièges exposés plus haut. Elle est particulièrement importante, car si la douleur est un message il s’agit de le comprendre. Or ici les questions sont redoutables, et il ne faut pas se contenter des mots du sujet. Par exemple il y a le malade qui dit : « J’ai mal partout ». Il suffit de l’interroger point par point pour constater qu’en général il a mal en des endroits bien précis, ou qu’il parle de courbatures. Ou encore les soignants parlent souvent de « douleurs à la mobilisation ». Mais la mobilisation n’est pas une partie du corps... Il se peut que le malade ait mal quand on le bouge, mais il faut savoir quelle est la partie du corps qui lui fait mal, sinon on ne pourra pas le soulager.
  • Quand ? Quelle place la douleur occupe-t-elle dans la vie du sujet ? Qu’est-ce qui la déclenche, qu’est-ce qui la calme ? Y a-t-il des paroxysmes, des horaires particuliers (douleur inflammatoire du matin, par exemple) ?
  • Quel est le type de la douleur ?

Mais il y a quelques difficultés.

Le sujet qui a mal et ne le dit pas :

Il peut s’agir d’un sujet qui cache sa douleur. Il le fait par habitude, parce que cela fait longtemps qu’il a mal et qu’il a appris à l’endurer : on s’habitue à la douleur et on finit par moins la percevoir, tout comme on s’habitue à n’importe quelle sensation, par exemple les bruits de la circulation dans les grandes villes ; il le fait aussi parce que depuis trop longtemps on ne l’écoute pas, ou parce que depuis trop longtemps les traitements qu’on lui donne sont insuffisants. Ou alors il peut le faire par peur du ridicule, par peur d’être pris pour un douillet. Ou encore il peut taire sa douleur par peur de sa signification : c’est souvent le cas des malades qui ont un cancer et qui ne parlent pas de leur douleur parce qu’ils se disent que s’ils en parlent cela va pousser le médecin à faire des recherches qui risquent de déboucher sur un diagnostic qui leur fait peur ; position assurément absurde : le danger est dans la maladie, non dans les mots du médecin ; cependant c’est une position fréquente. Il faut donc aller au-devant de la plainte, et interroger le malade systématiquement.

Naturellement il peut s’agir aussi d’un dément, d’un aphasique... Le problème de la douleur chez le malade qui ne communique pas est difficile, et il faut savoir étudier son comportement. Le dément a souvent du mal à comprendre ce qui lui arrive, et la douleur lui apparaît d’autant plus terrifiante qu’il ne sait pas ce que c’est. Ce sera souvent une modification minime, de la tristesse, un manque d’appétit, une agressivité, qui donnera l’alerte.

Le sujet qui ne sait pas s’exprimer :

Beaucoup de sensations désagréables ne sont pas des douleurs : se noyer n’est pas douloureux. Ainsi les nausées sont souvent exprimées sous forme de douleur ; on dit d’ailleurs : « J’ai mal au cœur », alors qu’on n’a pas mal et que ce n’est pas le cœur. Cette distinction est difficile à faire, et pourtant capitale : non pas parce que les inconforts non douloureux n’auraient pas à être soulagés, mais parce que les moyens à employer sont différents.

Le sujet qui souffre :

Cette question n’a l’air de rien, mais c’est la plus importante de toutes. Il y a en effet une différence fondamentale entre la douleur et la souffrance. On s’en apercevra très vite en constatant, comme on l’a déjà signalé plus haut, qu’il n’y a pas que la douleur qui fasse souffrir ; les nausées sont un phénomène très désagréable, et on peut souffrir de nausées ; pourtant il n’y a là aucune douleur. Ou encore le chagrin d’amour inflige d’indiscutables souffrances, pourtant il ne s’agit pas de douleur. Mais il faut aller plus loin, et se demander ce qui est pénible dans la douleur.

Lorsqu’on éprouve une douleur, la première chose qui se produit est la prise de conscience du message, et pendant une fraction de seconde le sujet est uniquement occupé à prendre les mesures pour la faire cesser. Mais ce premier instant passé on voit vite arriver deux questions :

  • La première est : qu’est-ce que c’est ? Quelle est la signification de cette douleur, quel message me délivre-t-elle, de quel danger me parle-t-elle ?
  • La seconde est : combien de temps cela va-t-il durer, et cela va-t-il se reproduire ? On supporterait infiniment mieux la douleur si on était assuré que jamais elle ne reviendra.

Autrement dit la douleur engendre systématiquement deux questions angoissantes. D’abord la douleur nous alerte, d’autre part elle nous inquiète ; la souffrance, c’est cette inquiétude, qui persiste alors même que la douleur a disparu. Dans la vie courante nous ne nous apercevons pas de cette différence parce que la douleur s’accompagne toujours, et très vite, de souffrance, mais elle existe bel et bien. On voit particulièrement cette différence quand on étudie l’anesthésie : pour beaucoup d’opérations l’anesthésiste se contente d’endormir le patient : la douleur n’est pas traitée, et si on prend la tension du malade on voit bien que son corps réagit à la douleur. Mais le malade dort, et il ne sait pas qu’il a mal : le but de l’anesthésie est de soulager la souffrance, non la douleur. Allons plus loin : il existe pour les anesthésies très courtes des médicaments qui agissent sur la mémoire : le sujet a mal, il ne dort pas, mais comme il ne s’en souvient pas il ne souffre pas.

La douleur n’a aucune importance : c’est la souffrance qui compte, et si la douleur ne faisait pas souffrir on n’aurait pas à s’en occuper. Il y a donc une distinction entre douleur et souffrance, et elle est simple :

  • La douleur se dit : « J’ai mal ».
  • La souffrance se dit : « Je suis mal ».

Et naturellement on peut être mal parce qu’on a mal.

Mais l’inverse est souvent vrai. Car la souffrance reconnaît de multiples causes. On peut souffrir de douleurs, on peut souffrir d’autres inconforts, on l’a vu (nausées, pesanteurs, démangeaisons, secousses musculaires, insomnie...), mais on peut aussi souffrir d’anxiété, de dépression, bref de troubles psychologiques. Très souvent le malade ne va pas savoir trouver les mots pour dire ces souffrances, qui vont s’exprimer uniquement par de la douleur ; c’est sans doute là le mécanisme de la douleur psychogène. Ce point est capital : ce qu’on dit à présent c’est que le malade qui a une douleur psychogène a une douleur ; il ne s’agit plus de dire qu’il invente sa douleur ; par contre on dit aussi que cette douleur ne se traitera pas par des antalgiques.

Le sujet qui simule sa douleur :

Ce sujet existe, mais il faut considérer deux points :

  • Ce cas est rare. Il faut penser ici aux enfants maltraités : il arrive que les enfants inventent les sévices qu’ils ont reçus, mais c’est si rare qu’il vaut mieux les croire systématiquement. On se trompera moins souvent que si on fait le contraire.
  • Le sujet qui invente une douleur le fait parce qu’il ne sait pas faire autrement. C’est une forme de souffrance et sa douleur doit être écoutée ; simplement la morphine n’y fera rien.

GESTION DU PROBLÈME DE LA DOULEUR PAR L’INTERVENANT

La première chose à faire est de questionner. Les chiffres sont là : 40% des personnes âgées ont mal de façon habituelle. 70% des malades douloureux se disent mal soulagés. Il faut interroger, et chercher à comprendre. Si on attend que le malade se plaigne on manquera la moitié des douleurs.

C’est là une position révolutionnaire : la tendance a longtemps été de négliger la douleur, de conseiller au malade de penser à autre chose, de prendre sur lui... au contraire il lui est demandé maintenant de se plaindre, de dire sa douleur, d’en revendiquer la prise en charge.

Il faut évaluer la douleur, et cette évaluation est possible, car il existe des outils. Par exemple il y a l’échelle visuelle analogique (EVA). L’échelle visuelle analogique est une simple réglette. Sur l’une des deux faces, il y a un trait horizontal marqué d’un côté par « absence de douleur », de l’autre par « douleur extrême ». Su l’autre face il y a le même trait horizontal, mais il est gradué de 0 à 10. Il y a un curseur qui peut être déplacé le long du trait.

On présente la réglette horizontalement, et on demande au sujet de déplacer le curseur jusqu’au point qui représente l’intensité de sa douleur. On lui précise au besoin que « absence de douleur » signifie : « je n’ai pas mal » et que « douleur extrême » signifie : « la pire douleur que je puisse imaginer ». On note le résultat chiffré. C’est tout.

On dit souvent que l’EVA est difficile à utiliser chez le sujet âgé, parce qu’il a du mal à comprendre de quoi on lui parle. C’est vrai, surtout s’il est dément. Mais contrairement à ce qu’on prétend, si on ne peut pas toujours l’utiliser on le peut très souvent, disons dans une bonne moitié des cas. Il vaut donc la peine de faire l’effort.

Une telle manière de faire peut semble ridicule. Elle a pourtant plusieurs avantages. D’abord on constate assez vite que le système est assez fiable, et que le chiffre qui mesure la douleur diminue quand on la traite. Cela veut dire que les soignants vont pouvoir comparer leurs résultats. Mais d’autre part en mesurant ainsi la douleur on montre au malade qu’on le croit : si le phénomène peut être mesuré, c’est qu’il existe, et qu’on n’en conteste pas l’existence. Il existe d’autres manières de mesurer la douleur, et au demeurant il n’est pas forcément très important de le faire. Ce qui compte c’est de prendre la douleur au sérieux, de la rechercher et de la traiter.

Car non seulement la douleur empoisonne la vie de ces malades (quand on interroge les malades en fin de vie, ils disent presque toujours que ce n’est pas la mort qui leur fait peur mais la souffrance), mais encore il est manifeste que les malades qui ont mal meurent plus vite que ceux dont la douleur est bien traitée.

Même sans considérer la question de la durée de vie, la prise en charge de la douleur a d’autres objectifs. C’est que la douleur est également une source importante d’invalidité : elle gêne la mobilité, elle réduit l’activité, le goût de l’action, et tend à replier le malade sur lui-même, avec tout ce que cela implique de dangers. La douleur articulaire ôte l’envie de se promener, de cuisiner, de voir d’autres personnes. Le fait d’avoir mal occupe l’esprit et interdit de s’intéresser à autre chose. Il faut donc la réduire pour permettre au malade de retrouver son activité.

Mais l’aide à domicile a un travail spécifique à accomplir, qui est de rester en éveil et de se poser la question de manière systématique. Il y a des occasions de repérer la douleur, et c’est là que l’aide à domicile sera plus performante que n’importe qui. Encore faut-il qu’elle sache ce qu’elle doit regarder.

Il faut d’abord savoir quelles sont les douleurs les plus fréquentes chez la personne âgée. Ce sont les douleurs rhumatismales :

  • La douleur des épaules, qui empêche de lever les bras.
  • La douleur des mains, surtout des pouces, qui empêche de serrer.
  • La douleur des hanches, à cause d’une arthrose. Elle empêche de marcher ; rappelons simplement que la douleur de hanche se situe dans l’aine, et qu’elle s’accompagne souvent d’une douleur du genou.
  • La douleur des pieds, si souvent déformés.
  • La douleur du dos, à cause des déformations, de l’arthrose, des tassements ; elle empêche de se lever.

Mais ce sont aussi les douleurs abdominales, qui signalent souvent une constipation, une infection urinaire... Ce sont aussi les douleurs thoraciques, à condition de se souvenir que si toute douleur dans la poitrine fait d’abord penser à un infarctus, l’inverse n’est pas vrai : plus du tiers des infarctus de la personne âgée ne donnent pas de douleurs. Ce sont également les maux de dents, de gencives, de bouche : on considère par exemple que 40% des déments ont mal aux dents...

Il y a donc des occasions d’observer la douleur, et cette connaissance est d’autant plus importante chez le sujet qui ne communique pas ou mal. Très souvent la personne âgée connaît ses douleurs, elle les a intégrées dans son fonctionnement, et elle a acquis des comportements automatiques qui lui permettent d’éviter les situations douloureuses. On doit donc penser à la douleur devant certaines attitudes (le dément qui a mal au ventre met souvent sa main dessus, comme pour le protéger), ou devant certains refus : le sujet qui reste devant son assiette sans manger a peut-être trop mal aux épaules pour porter la fourchette à sa bouche.

Très souvent la question qui se pose est de savoir si le sujet qui se plaint a réellement mal ou s’il trouve là un prétexte pour ne pas bouger. On a vu que cette question ne se pose pas, et que le sujet qui dit « J’ai mal » a mal. Mais chacun de nous sait que les choses ne sont pas si simples, et qu’on est parfois tenté de pousser la personne à faire des efforts. Il est difficile de trouver un comportement adapté, et on doit se limiter à donner quelques indications :

  • On se trompera beaucoup plus souvent en ne croyant pas la personne qu’en la croyant.
  • Lorsqu’on pense que la personne exagère, on se trouve souvent en situation d’échec ; dire qu’elle exagère est donc un moyen de vouloir la forcer, et on est dès lors tout près de la maltraitance.
  • Un des moyens de se tirer d’embarras est de faire semblant de soigner le malade, en lui faisant croire qu’on lui donne quelque chose ; ces traitements imaginaires s’appellent des placebos ; on pense que si la plainte diminue alors qu’on n’a pas réellement soigné, c’est que le malade n’a pas réellement mal. C’est souvent vrai, mais il faut se méfier : les placebos ont aussi une action réelle, et scientifiquement démontrée, de sorte qu’une douleur calmée par un placebo peut aussi demander un traitement plus actif.

CONCLUSION : LA DOULEUR NE SERT À RIEN...

La douleur est un message d’alerte. C’est son immense intérêt, mais c’est le seul. Une fois qu’elle a rempli son rôle, elle devient inutile et doit être supprimée.

Ajoutons une remarque fondamentale : il est dangereux de laisser s’installer une douleur, et ceci pour trois raisons.

La première raison est que chez la personne âgée le handicap se paie toujours très cher. Si la douleur est telle que le malade se trouve immobilisé dans son lit plus de deux ou trois jours, plus rien ni personne ne peut garantir qu’il pourra se relever : les complications, les infections, les phlébites, la fonte musculaire sont déjà là. Il faut rappeler sans cesse que le vieillard est en équilibre très fragile et qu’un rien risque de le détruire.

La seconde raison est que le vieillard n’a pas de temps à perdre. Il lui reste peu de vie, il ne faut pas qu’il la gaspille à lutter contre des inconforts. Ajoutons que la douleur en elle-même présente de multiples dangers :

  • Physiques, par les désordres cardiaques, la perte de l’appétit, les troubles de la mobilité, les désordres biologiques : pour une même maladie les sujets dont la douleur est calmée vivent plus longtemps que ceux dont la douleur ne l’est pas.
  • Psychologiques, par l’anxiété, la dépression, le repli sur soi.

La troisième raison est que la douleur tend à s’auto-entretenir. Il existe une mémoire de la douleur, et cette mémoire se met en marche très rapidement. Tout se passe comme si, quand une douleur a duré un peu trop longtemps, elle s’incrustait dans le cerveau ; de la sorte, la douleur continue à se manifester alors même que sa cause a disparu. Cette douleur-mémoire est un mécanisme redoutable, qui explique beaucoup de douleurs chroniques.

Non seulement, donc, la douleur doit être supprimée, mais elle doit être supprimée vite : la douleur est une urgence.

Docteur Michel Cavey


Quelques liens :

La prise en charge de la douleur chez la personne âgée, sur www.has-sante.fr

Douleur de la personne âgée, sur http://documentation.aphp.fr

Le dossier du Colloque sur la douleur des personnes âgées (43 pages), sur www.sante.gouv.fr

Notes

[1Il faut à ce sujet critiquer l’idée reçue selon laquelle l’Église catholique en tiendrait pour une « vertu rédemptrice de la douleur » : il y a des imbéciles partout, mais il reste que l’un des textes les plus anciens dont on dispose sur ce point est celui de Pie XII en 1958, qui déclare que la douleur des mourants doit être calmée, même si c’est au prix d’un raccourcissement de la vie.

[2Le ramadan fonctionne d’une manière assez proche : non seulement le jeûne est une épreuve de purification, mais elle est considérée également comme une école de maîtrise de soi.