(...) Irène Théry soulignait l’importance du phénomène d’apparentement reliant les beaux-parents aux beaux-enfants. Comment ce phénomène peut-il s’appliquer dans l’accueil thérapeutique, au sein duquel le temps passé ensemble, la vie partagée des corps, les événements, les fêtes, les incidents ou les difficultés traversées, créent eux aussi une histoire commune ? Et dans ces conditions, comment penser et préparer l’étape de la séparation, et les conditions des liens ultérieurs éventuels, librement établis entre la famille d’accueil et la personne accueillie chez elle pendant un temps ?

(...) on peut dire que l’accueil est une posture de réceptivité et d’attente. Cette posture suppose d’être réceptif à l’autre, à ce qui vient de l’autre, à ce qu’il montre, ce qu’il exprime, ce qu’il transmet, à ses besoins. Cela suppose de pouvoir supporter l’attente, de ne pas demander à l’autre de répondre immédiatement à ce qu’on attend, de supporter que l’autre, l’accueilli, ne comble pas immédiatement notre attente.
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Seule la compréhension donne une aide, pas l’explication. Ex-pliquer c’est être hors du pli, hors du rythme de la rencontre. S’im-pliquer c’est être dans le pli, dans la rencontre.
Seule l’implication permet de comprendre, et un sujet qui ne se sent pas compris d’un autre ne peut pas en apprendre quelque chose. On ne peut rien apprendre de quelqu’un qui ne nous comprend pas, même s’il sait très bien tout nous expliquer.

(...) Les indications d’un séjour en AFT à orientation alcoologique sont nombreuses et variées. Par exemple dans le cas de Jean-Marc il s’agit d’un homme sans domicile fixe, alcoolo-dépendant, fréquentant quasi exclusivement des personnes ayant les mêmes problématiques de dépendance aux substances que lui, sans repère au sein de la société : il ne savait plus les règles élémentaires de bienséance et de respect à autrui, et de ce fait le respect envers lui-même était également altéré.
(...) C’est également un monsieur polytoxicomane qui a consommé du cannabis à l’adolescence, puis de l’héroïne.
(...) Lorsque Jean-Marc rencontre la famille B. en octobre, sa première réaction est de constater la ressemblance physique entre monsieur B et son propre père. Cette ressemblance semble avoir facilité son entrée en séjour ; toutefois, durant les premières nuits, Jean-Marc ne trouvait pas le sommeil. Il faisait des cauchemars au cours desquels il revoyait son père mort.

(...) Cet environnement fait de « pareil » et de « pas pareil », d’étranger et de familier, offre à l’enfant la possibilité d’apprivoiser sa vie psychique autrement, de traiter et de transformer les liens qui ont présidé à sa propre construction en trouvant des formes de réponses différentes et dans un certain nombre de cas, plus ajustées du fait du dégagement de l’assistante familiale de la problématique familiale de la personne accueillie, particulièrement imprégnée de la pathologie de l’enfant.
(...) l’indication d’AFT occupera une fonction de soutien de la famille de l’enfant mais aussi de l’équipe engagée dans le soin. L’équipe ou le consultant se met alors à penser à cet autre espace, à imaginer une scène familiale au sein de laquelle l’enfant pourra trouver ce que la famille d’origine ou le service de soin n’est pas (suffisamment) ou plus en mesure de lui apporter.

(...) Quel que soit l’âge de l’enfant que nous accueillons au SAFT, nous sommes en présence de parents insécurisés par l’image que leur enfant leur renvoie. Ces parents vont alors adopter des comportements qui ne sont pas ajustés aux besoins du jeune, entrainant des mouvements pathologiques relationnels en lien avec leur fonction de contenance. La relation sera trop ou pas assez contenante, entrainant soit des angoisses claustrophobiques, soit des angoisses de lâchage.
Le projet d’accueil familial thérapeutique va réactiver chez eux une nouvelle blessure dans leur parentalité. On perçoit une souffrance familiale importante avec des sentiments contradictoires face à ce nouveau lieu familial qui pourrait, soit être salvateur (leur offrant la possibilité de faire une pause, de souffler), soit être porteur de culpabilisation, les renvoyant à leur parentalité défaillante (cette famille d’accueil saurait mieux faire qu’eux ?)
(...) « Je suis bien avec Nicole, mieux qu’avec ma mère et mon beau-père. C’est mieux chez Nicole, c’est pas bien chez moi. J’ai la haine contre ma mère qui me laisse toute seule. (...) En tout cas moi, j’espère que je vais devenir quelqu’un... »
(...) Pour Lily et pour les autres enfants pour lesquels les enjeux institutionnels et familiaux sont déroutants, l’AFT permet une mise en J’EUX favorable à leur épanouissement psychique et à leur intégration sociale.

(...) La rencontre avec Mr et Mme R est simple et chaleureuse. Elle se passe au mois d’avril 2015 à l’hôpital. Nicolas (24 ans) est très touchant, il est intimidé et se tortille sur sa chaise, un sourire un peu béat, dans une posture très enfantine. (...) Ses troubles de l’élocution rendent l’échange laborieux. Tout le monde est suspendu à ses lèvres pour comprendre ses propos. Mme R semble déroutée par ce grand gaillard qui se comporte comme un enfant de 5 ans.
(...) La vie institutionnelle, trop collective et impersonnelle, moins souple et adaptative, baignée de moins d’affection partageable… semble aiguiser inévitablement les limites de l’insupportable pour Nicolas… Des sentiments de rejet et de stigmatisation par ses difficultés, une intolérance quant aux besoins et à la présence de l’autre dans des scènes de rivalité fraternelle, un recours impérieux et une quête effrénée aux objets de tout genre comme palliatifs existentiels… autant de mouvements et ressentis internes que la vie familiale en AFT tente d’apprivoiser. Et que le travail de l’équipe d’AFT s’efforce de soutenir, d’accompagner et de cadrer… Parfois en douceur… parfois à corps et à cris !

(...) C’est dans les moments de difficultés, alors, que la famille peut activer des ressources spécifiques, comme la capacité d’adaptation et de réorganisation. Ce genre d’activation peut s’instaurer même dans une famille différente de la famille d’origine et après plusieurs années de ces premières expériences qui ont beaucoup gravé sur la formation de la personnalité.
Moi je pense que l’histoire de l’AFT est une histoire d’attachements, de liens, de ces besoins que tout le monde reconnait , celui des opérateurs, des familles, des accueillis, celui que nous reconnaissons constitue notre humanité et que renvoie donc au besoin d’être voulus, d’être acceptés pour ce que nous sommes. L’histoire de l’AFT est l’histoire d’un milieu qu’on habite et elle est aussi l’histoire d’un espace d’individuation à l’intérieur du processus évolutif.

(...) pour l’enfant placé, l’affaire se complique. Tout d’abord il a parfois déjà traversé l’épreuve de la séparation de ses parents. Ensuite, il ne dispose pas de ressources internes solides car ses parents n’ont pas pu lui offrir une enveloppe familiale sécure, du fait de leur propre dysparentalité. Ce sont ces défaillances parentales qui ont amené le placement.
Pour cet enfant placé, c’est l’ensemble de la scène familiale qui disparait. Aussi pathogène qu’elle ait pu être, l’enfant n’a connu que celle-ci.
(...) Celui-ci va alors présenter des symptômes caractériels, somatiques, émotionnels, exacerbés lors des temps interstitiels de passage entre les deux familles. Ces manifestations trahissent sa difficulté voire son incapacité à s’autoriser un lien d’attachement sécure avec chacune de ces deux familles. Une des conséquences sera la confrontation répétée à une angoisse de perte de l’objet investi (parents, famille d’accueil) et un repli sur des positions relationnelles régressives, fusionnelles, de dépendance, de toute-puissance.
(...) Il faut aider l’enfant à conserver sa filiation (famille d’origine) tout en se sentant affilié à la famille d’accueil, sans que ce double attachement ne plonge l’enfant dans une paradoxalité pathogène. C’est-à-dire, sans qu’il souffre d’une forme d’aliénation à l’une ou l’autre famille.
(...) nous mesurons à nouveau, au travers des différentes interventions proposées pendant ces deux jours, l’importance capitale mais aussi la fragilité de la fonction contenante de la famille et du groupe que constitue l’équipe qui accompagne accueilli et accueillants.