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Comment ne pas perdre la tête ?

Jean-Claude CÉBULA, psychologue clinicien - IFREP, Paris

Ces quelques mots du refrain d’une chanson [1] vont rythmer les péripéties de l’accueil familial Accueil familial Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois). des adultes.

PREMIER COUPLET

Comme dans la chanson, une jeune femme, Dymphne, perd la tête. Les « bras audacieux » qui tentent de la serrer et auxquels elle se refuse scelleront son histoire. Cette aventure ancienne, plus ou moins connue ou déformée, est considérée comme la source de l’accueil familial des populations en grandes difficultés relationnelles.

Au VIIème siècle, Dymphne, aujourd’hui patronne des malades mentaux, a été décapitée. Jusqu’à cette fin dramatique, elle a gardé toute sa raison : elle rejette les avances de son père qui, fou de colère, ordonna sa décapitation. L’affaire se passe dans un petit village du nord de l’Europe, Geel, qui devient lieu de pèlerinage où des possédés sont emmenés par leur parenté et laissés à la garde ou au bon vouloir des paysans locaux qui les hébergent et les nourrissent plus ou moins confortablement en attendant qu’un miracle advienne pour qu’ils puissent retrouver leur communauté d’origine. À cette époque, le Moyen Âge, on n’évoque pas la maladie mentale ou le handicap mais la déraison associée à la sorcellerie ou à la possession.

Que nous apprend cet épisode lointain ? Que déraisonner, comme le fit le père de Dymphne, crée des complications familiales jusqu’à faire perdre la tête aux uns et aux autres. L’unité familiale est mise à rude épreuve lorsque les règles qui la structurent, l’interdit de l’inceste en particulier, sont autant bousculées. Un tel constat est encore trop souvent d’actualité.

Mais l’enseignement fondamental porte sur la capacité d’autres familles de supporter des populations rejetées par leurs proches ou de suppléer des défaillances familiales. Non seulement les familles de Geel, et dorénavant les familles d’accueil contemporaines, s’occupent de personnes non autonomes, en souffrance psychique, mais elles apportent dans le partage de leur intimité des figures parentales rassurantes et structurantes, fondatrices des processus de reconnaissance dans notre rapport aux autres.

DEUXIÈME COUPLET

Comment ne pas perdre la tête à la lecture des textes qui réglementent l’activité d’accueil à son domicile, à titre onéreux, de personnes âgées ou handicapées ?

Trois temps pour ce couplet. Tout d’abord, la loi du 10 juillet 1989 dont je viens de reprendre le titre, ainsi que, pour certains, l’arrêté du 1er octobre 1990, tentent de mettre de l’ordre dans les têtes des acteurs de l’accueil familial des adultes. Durant cette période, l’activité d’accueil de populations en souffrance psychique ou en difficulté sur le plan de l’autonomie était plus ou moins développée et organisée selon les départements ou les services de psychiatrie.

La loi, texte fondateur, apporte un cadre à cette pratique et définit deux types d’accueil familial : l’accueil familial social de personnes âgées ou handicapées dont la mise en œuvre est du ressort des services sociaux des départements et l’accueil familial thérapeutique AFT
Accueil Familial Thérapeutique
Des personnes souffrant de troubles mentaux peuvent être prises en charge au domicile de particuliers formés, agréés et employés par des établissements psychiatriques.
de malades mentaux dont l’organisateur est un service de psychiatrie.

Pour mémoire, rappelons les concepts avec lesquels chacun (professionnels sociaux ou médicaux, accueillants, accueillis, parents ou tuteurs des accueillis) a dû composer : agrément des familles d’accueil, contrat accueillant-accueilli, organisation du suivi social et médico-social des accueillis, contrôle et formation des accueillants.

Sans connaissance des limites, des enjeux, des besoins ou même des spécificités de l’accueil familial, il y eut de quoi perdre la tête… ce qui fut souvent le cas. D’autant que les premiers temps furent ceux de la régularisation des accueils existants. C’est-à-dire que l’on venait agréer des familles qui accueillaient des adultes intégrés depuis leur enfance à la vie familiale, qui parfois n’avaient pas vu de travailleurs sociaux depuis plusieurs dizaines d’années et qui, subitement, devaient se mettre en conformité, donc rendre des comptes. Certains en perdirent la tête, au sens figuré, car ne pouvant obtenir l’agrément ; d’autres restèrent circonspects. Quant aux accueillis, ces bouleversements légaux ne contribuèrent pas toujours à asseoir leur raison. Imaginez, du fait du contrat, ils devenaient employeurs des personnes avec qui ils vivaient ! Il en faut souvent moins pour déraisonner.

L’accueil familial thérapeutique échappe à quelques-unes de ces péripéties. Un employeur et organisateur est clairement identifié : un établissement public de santé. Les règles du fonctionnement du dispositif sont codifiées dans l’arrêté du 1er octobre 1990 qui laisse tout de même quelques flous quant au statut des accueillants (salariés, contractuels…) ou des accueillis (considérés comme hospitalisés ou non…).

Deuxième temps : l’évaluation de l’accueil familial social réalisée en 1998, à la demande de la Direction Générale de l’Action Sociale, pilotée par Jean-François Bauduret, et confiée à l’IFREP. Près de neuf ans après la parution de la loi, il fallait y voir clair. Cette étude avait donc plusieurs objectifs :

Ce deuxième temps fut l’occasion de trouver les voix de la raison qui prirent la forme de l’article 51 de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002. Avec ce texte, on pouvait enfin espérer que nos troubles allaient trouver des réponses raisonnables.

C’est en partie le cas si les décrets à venir confirment la voie. L’accueil familial apparaît plus précisément dans les dispositifs d’aide et d’accueil [2] du fait de :

  • l’invention d’un nouveau métier, celui « d’accueillant familial » pour recevoir jusqu’à trois accueillis, avec obligation d’une formation initiale et continue. Jusque-là, on évoquait des personnes agréées ;
  • la définition de modalités d’accès à la profession et de fin d’activité plus précises et à validité nationale ;
  • l’affirmation, certes encore timide, d’un statut, d’un salaire et de droits en référence aux codes du Travail et de la Sécurité Sociale.

Le cadre général de l’activité est toujours fixé par un contrat entre accueillant et accueillis mais des améliorations sont apportées : il est basé sur un contrat type établi par voie réglementaire et prévoit des droits en matière de congés annuels des accueillants familiaux.

Au-delà de ces améliorations, le nouveau texte invente et définit un nouveau dispositif : l’accueil familial médico-social. Des structures publiques ou privées (établissements assurant l’hébergement de personnes âgées, handicapées, inadaptées...) pourront être employeurs d’accueillants familiaux. Voie royale pour créer de véritables services d’accueil familial pour des handicapés psychiques s’appuyant sur des familles d’accueil salariées d’un établissement et sur la distinction des contrats de travail et des contrats d’accueil.

L’accueil familial thérapeutique est déjà organisé sur ce modèle. Cette ouverture crée un champ de concurrence ou de complémentarité entre accueil familial thérapeutique et accueil familial médico-social. Les deux dispositifs s’adressent finalement à des populations, malades mentaux ou handicapés mentaux, très proches.

Comment chacun pourra-t-il faire valoir sa spécificité ?
N’oublions pas que le quotidien, la pertinence et la qualité de vie des familles d’accueil restent les mêmes que la personne accueillie soit qualifiée de malade ou de handicapée mentale.

TROISIÈME COUPLET

Ce sont en effet les besoins des populations orientées en accueil familial qui peuvent nous aider à retrouver nos esprits et à relever la pertinence des familles d’accueil. Le plus souvent, il s’agit de personnes qui ont la particularité de ne pouvoir seules subvenir à leurs besoins, momentanément ou durablement.

Les aléas de leur vie ou de leur parcours ont renforcé des difficultés relationnelles latentes ou avérées, voie vers la désinsertion sociale.
Ces aspects handicapants sont ceux auxquels répondent le mieux les familles d’accueil. À l’aide au quotidien qu’elles assurent, s’ajoute l’offre d’un cadre structurant, rassurant, avec des repères permanents et durables en termes de lieux et de personnes.

Les accueillants familiaux partagent leur être, leur intimité familiale. Les images parentales sur lesquelles s’appuient parfois ces actions agissent au niveau de la structure psychique du sujet.

C’est-à-dire qu’en accueil familial, lorsque le système relationnel est satisfaisant pour chacun, les accueillis progressent jusqu’à acquérir ou récupérer des compétences nouvelles ou disparues. Ce que Winnicott [3] avait repéré en affirmant que « Dans le cas extrême, il faudrait que le thérapeute aille vers le malade et lui offre activement un bon maternage… ». N’est-ce pas une des attentions spontanées des familles d’accueil ?

Dans cette perspective, la formation devient un enjeu important. Incontestablement, elle contribuera à valoriser et à identifier cette activité. Mais il faudra agir avec prudence et discernement afin de penser des formations adaptées à un nouveau métier à nul autre pareil qui n’est pas réductible au savoir-faire des autres professions du social.

L’essentiel du projet formatif devrait résider dans un mouvement réflexif articulé aux pratiques personnelles d’accueil, afin d’inventer des réponses et des positionnements de référence. L’enjeu est d’apporter aux accueillants, au-delà des connaissances indispensables à leur activité et à son cadre, les moyens d’élaborer leur travail et de penser leurs attitudes en rapport avec les comportements et les besoins des accueillis. En ce sens, certains dispositifs collectifs favorisant la parole, l’expression et la réflexion sur la pratique devraient être valorisés.

Pour conclure, revenons-en à Winnicott qui, sans décrire le travail des accueillants familiaux, préconisait à propos de la psychose : « En d’autres termes, la psychose est étroitement liée à la santé, dans laquelle d’innombrables situations de défaillances de l’environnement sont gelées, mais on les atteint et on les dégèle grâce à divers phénomènes curatifs de la vie ordinaire : les amitiés, les soins au cours de maladies physiques, la poésie, etc… ».

Ces éléments curatifs de la vie ordinaire sont largement dispensés par les familles d’accueil ! En poètes du quotidien, les accueillants familiaux font entrer leurs accueillis dans une autre théorie des rapports que ceux construits par la relation valide-handicapé ou soignant-soigné. Ils deviennent alors de formidables appareils à penser, à décoder et à contextualiser où opèrent des processus identitaires rendus possibles par la vie en commun.

Notes

[1« Mon amant de Saint-Jean » – paroles de Léon Angel

[2pour des précisions, voir le texte de la loi et les commentaires dans le numéro 12 de « L’accueil familial en revue » (décembre 2001)

[3« Les aspects métapsychologiques et cliniques de la régression au sein de la situation analytique » in « De la pédiatrie à la psychanalyse », Donald W Winnicott, Payot 1969