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L’adoption symbolique, la filiation et l’identification

Auteur : Dominique Barbier, psychiatre des hôpitaux, psychanalyste, médecin légiste - CH Montfavet (84)

L’accueil familial Accueil familial Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois). thérapeutique (AFT AFT
Accueil Familial Thérapeutique
Des personnes souffrant de troubles mentaux peuvent être prises en charge au domicile de particuliers formés, agréés et employés par des établissements psychiatriques.
) suppose qu’en échange d’une rémunération, une famille quelconque soit reconnue comme auxiliaire thérapeutique pour un patient, du seul fait que l’équipe soignante l’ait sélectionnée.

Ce système de cooptation, quels qu’en soient les mérites, nécessite d’être interrogé dans son fondement et la démarche qui le sous-tend.

Nous laisserons de côté, bien entendu, l’aspect économique de l’AFT, qui, poussé au paroxysme, pourrait entraîner la limitation du recrutement de soignants diplômés du fait d’un glissement budgétaire à l’origine d’une sorte "d’autoconcurrence".

Cela pour nous consacrer à la question du candide : l’AFT, n’est-ce pas une façon de confier à une famille ordinaire un rôle qui n’est pas le sien, et qui risque de la mettre en porte à faux, en la transformant en salariée temporaire ou occasionnelle de l’hôpital ?

En quoi une "autre" famille sera-t-elle thérapeutique ?

Qu’est-ce qu’accréditer une famille d’une fonction thérapeutique ? Peut-on considérer que la mission éducative se juxtapose à la fonction soignante, au point de penser que l’éducatif en lui-même aurait une action thérapeutique ?

L’un des principes de base qui oriente l’accueil familial thérapeutique est de considérer que la famille biologique est à l’origine d’un ratage qui a entraîné par la suite les troubles neuro-développementaux de la psychose. D’où l’idée, un peu simpliste, il faut bien en convenir, qu’une nouvelle famille va permettre une réparation des dégâts et des cicatrices. On objective alors l’idée sous-jacente que la famille biologique est mauvaise, tandis que la famille d’accueil famille d'accueil Terme désuet et imprécis remplacé, depuis 2002, pour l’accueil d’adultes âgés ou handicapés, par l’appellation accueillant familial. Saisir "famille d’accueil" sur un moteur de recherche conduit à des sites traitant de placements d’enfants et/ou d’animaux maltraités : cherchez plutôt "accueil familial" ou "accueillants familiaux" ! est présupposée bonne.

Mais ce présupposé-là trouve différents registres explicatifs qu’il est nécessaire d’inventorier. (...)

Dans l’AFT, chaque terme compte

L’accueil, c’est une disponibilité à l’autre faite d’acceptation, de tolérance, d’échange, de don réciproque et de respect. Cette position humaniste va sans doute être essentielle pour certains patients qui sont fiers d’"avoir" leur famille d’accueil. Elle va venir favoriser la nidation et peut être un équivalent de couvaison dans le phantasme que le vilain petit canard pourra devenir plus tard un élégant cygne ! La nidation est cette capacité à préparer et offrir au corps de l’autre la rotondité qui va accueillir son corps et l’épouser. C’est du moins l’image forte à laquelle devraient renvoyer nidation et accueil.

Familial, par opposition à la lourdeur institutionnelle de l’unité fonctionnelle où est hospitalisé le patient. La famille est supposée créer un microclimat, plutôt douillet et chaleureux où le patient pourra être consolé de ses souffrances et se sentir compris, sans la violence de la jalousie psychotique qui entraîne des interactions dommageables à son évolution. Là encore, la famille d’accueil est un lieu de vie qui permet une régression réparatrice par rapport à un lieu de soins où le poids du réel, rappelé dans une optique propédeutique et thérapeutique face au déni ou à l’esquive psychotique, apparaît comme une opposition féconde (nous appelons esquive psychotique, l’attitude qui consiste à éviter le combat de la vie et l’acceptation de la difficulté d’être, qui suppose cependant de continuer à lutter). L’institution peut devenir plus exigeante, au nom d’un projet auquel le patient est partie prenante. Projet, à terme, d’une sortie de l’hôpital considéré comme mauvais objet, à l’origine d’une pathologie iatrogène : la chronicisation asilaire, consistant à rendre très handicapés vis-à-vis de l’existence nos patients chroniques, parce qu’ils ont perdu le sens des réalités de la vie à l’extérieur et qu’ils sont peut-être trop assistés, au point d’avoir de véritables déficits instrumentaux.

Thérapeutique, c’est là où le bât blesse ! Car n’est pas thérapeutique qui veut ! S’il suffisait de changer les patients de lieux pour qu’ils aillent mieux, il n’y aurait plus besoin de soignants ! Donc dans ce domaine, c’est ici que l’AFT va poser un réel problème. Pour y voir un peu plus clair, il est nécessaire d’opposer le soin (qui est justement cette capacité à apporter à autrui l’aide diligente et consciencieuse dont il a besoin) et la thérapeutique. Le soin renvoie en quelque sorte à la nidation, à la couvaison et à cette capacité maternelle d’entourer le Moi - peau de l’enfant, c’est-à-dire d’en souligner les contours dans un plaisir réciproque, de dessiner les limites et de montrer le plaisir d’une caresse. La thérapeutique repose sur une méthode codifiée, avec des objectifs, des repères et un formateur qui se porte garant de notre pratique, comme il nous est fait, par la suite, obligation de formation personnelle pour, là encore, être le moins nocif possible. De ce point de vue, l’honnêteté impose de reconnaître qu’une famille, même cooptée, ne peut pas d’emblée et toute seule se situer dans le domaine thérapeutique. La famille peut-elle être thérapeutique à elle seule ? C’est seulement à se conformer par délégation au projet thérapeutique de l’équipe soignante qu’une famille peut le devenir.

La famille a plutôt une logique de groupe restreint. C’est ainsi qu’elle va aider le patient, en inscrivant sa démarche dans un projet porté par l’équipe, à évoluer grâce à une compassion, une adaptation progressive au concret de la vie, un certain échappement aussi au poids du réel grâce aux loisirs et à la régression/consolation. Elle permettra aussi une opposition relative entre lieu de soins et lieu de vie, le soin étant, compte tenu de ce que nous avons précisé plus haut, l’art et la manière de réaliser la thérapeutique. (...)

Conclusion

Le détour par la filiation imaginaire, les processus d’identification, les mouvements d’investissement et le roman familial montrent à quel point l’accueil familial doit être manié avec discernement, prudence et souplesse.

Nos psychotiques se situent dans une position préœdipienne ou ont eu un embryon de stade œdipien qu’une autre famille aura bien du mal à reconstruire. Mais il convient dans cette affaire, afin d’être le moins nocif possible, de savoir se positionner clairement vis-à-vis de toutes ces notions. Car l’AFT peut aussi devenir un espace transitionnel qui va permettre une consolation narcissique dont beaucoup de nos patients peuvent profiter.

Le travail de psychiatre est un travail de raccommodage. Il convient en ce domaine d’être un bon bricoleur !