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La lettre de Clotilde

Très chère amie,

A chacun de nos échanges, je vous sens de plus en plus dubitative. Et lorsque j’essaie de vous en faire dire davantage, votre discrétion naturelle vous retient de vous épancher sur certains sujets qui, me semble-t-il, vous tiennent beaucoup à cœur.

Acceptez-vous que je vous pose quelques questions qui naissent de vos trop rares confidences ?

Je vous entends souvent parler de votre solitude au quotidien. Que voulez-vous dire ?

Je vous ai entendu relater quelques faits qui me laissent à penser que des "équipes" existent autour de vous. En effet, l’autre jour, nous n’avons pu nous rencontrer car vous aviez ce jour-là une "V.A.D.".

Il y a donc bien des intervenants extérieurs pour vous soutenir, vous aider à prendre du recul, prendre le relais quelques instants auprès des personnes accueillies au cours d’une courte discussion.

Cependant, j’ai le sentiment que cela ne fonctionne pas très bien. Je vous ai vu fort courroucée un dimanche soir vers 22 heures, alors que vous veniez de recevoir un appel téléphonique d’une de ces équipes qui vous avertissait de son passage le lendemain à votre domicile. Je comprends votre indignation d’être dérangée ainsi un dimanche soir. Il y a là un manque de respect évident de votre vie de famille.

Vous m’avez également confié que, lors de l’entretien d’embauche, le médecin qui présidait l’entretien vous avait dit : "Vous faites partie de l’équipe, comme chacun de ses membres".

Qu’en a-t-il été dans les faits ? Avez-vous travaillé avec cette équipe sur le projet de vie de la personne confiée ? Cela ne me semble pas. Je ne vous entends jamais parler de projet de vie.

Et pourtant, votre activité est "contrôlée" et fait l’objet d’un agrément. Cela suppose qu’une ou plusieurs personnes vous rencontrent pour savoir qui vous êtes et comment vous entendez mettre en œuvre un tel travail. Ces rencontres existent, je le sais, mais un véritable travail d’équipe se met-il en place après la réalisation effective des accueils ?

Je sais que, pour l’accueil de Marina, il était précisé dans le contrat qu’un suivi devait être effectué à votre domicile, chaque semaine, par l’équipe de placement familial de l’hôpital. Ce suivi n’a pas été réalisé, à aucun moment, et vous vous êtes trouvée confrontée à des problèmes de fugues et de violence tels que vous avez dû renoncer. Là encore, aucune concertation après le départ pour tenter de savoir ce qui aurait peut-être pu aider Marina. Rien, depuis le jour où elle a quitté votre domicile, vous n’en avez plus jamais entendu parler.

Pourtant, votre travail est complexe car vous devez sans arrêt vivre avec des êtres humains qui présentent des dysfonctionnements importants tant dans leur corps que dans leur esprit. Cela demande une souplesse dans votre comportement et celui des membres de votre famille qui n’est pas forcément innée.

Ces dysfonctionnements sont autant d’obstacles à la réalisation d’une vie quotidienne harmonieuse, et cependant, c’est dans ce but que vos résidents sont passés de la structure hospitalière ou éducative à la vie en famille.

Pourtant les résultats que vous avez obtenus sont probants : Claire est toujours là après quinze années. Et d’autres accueils ont duré cinq ans et plus. Au départ, l’équipe de placement était enthousiaste, mais dans la durée, il semble que cet enthousiasme se soit émoussé. Pourquoi ? Je pense que, pour les équipes, cela représente un investissement psychique lourd dont elles ne reçoivent pas les bénéfices directs. Le travail effectué, votre travail, se fait loin du cadre habituel, dans un lieu un peu secret, comme le sont toutes les demeures familiales avec leurs histoires particulières, intimes, leurs joies et leurs peines vécues au quotidien. Ce quotidien qui est fait d’une multitude de petites choses, impossibles à raconter.

Mais, surtout, vous êtes confrontée à l’éloignement qui génère une grande solitude. La confidentialité est la règle de votre travail. Et les comportements si particuliers de vos résidents font que les risques d’exclusion sont certains. Vous ne pouvez partager avec vos amis, votre famille, les inquiétudes qui naissent avec l’évolution des pathologies. Vous avez donc peu d’interlocuteurs avec lesquels échanger sur les mille et une petites choses de la vie quotidienne.

Et puis, il y a les promesses non tenues d’accompagnement. En ce qui concerne Marie, l’équipe de l’institution s’était engagée, oralement certes, à vous accompagner régulièrement. Cette relation régulière n’a duré que quelques mois. Vous avez posé par téléphone de nombreuses questions tant la pathologie de Marie est lourde. Vous attendez toujours les réponses.

Je sais que vous vivez pleinement, au quotidien, l’engagement que représente l’aventure de l’accueil familial Accueil familial Alternative au maintien à domicile et au placement en établissement spécialisé : les personnes handicapées ou âgées sont prises en charge au domicile de particuliers agréés et contrôlés par les conseils départementaux (ou par des établissements de santé mentale). L’accueil peut être permanent (contrat conclu pour une durée indéterminée) ou temporaire, à temps complet (24h/24) ou à temps partiel (exemple : accueil de jour), ou séquentiel (exemple : un weekend tous les mois). . Je sais aussi que les discours ne sont pas de mise avec vous. Vous agissez et vous aimeriez que les autres en fassent autant. Vous avez au fil des années tenté de compenser le manque de soutien par votre réflexion personnelle. Vous avez cessé de vous interroger sur de nombreux sujets, et vous allez chaque jour, avec votre ineffable sourire, à la rencontre de vos résidentes comme si vous les découvriez pour la première fois.

Ce que j’admire le plus chez vous, c’est l’humour que vous manifestez en toutes circonstances et surtout votre humilité. Mais il est vrai que le poète a écrit : "La vie de tous les jours, aux travaux ennuyeux et faciles, est une œuvre de choix qui demande beaucoup d’amour". Et c’est cet amour que vous dispensez à chaque instant qui fait votre force.

A bientôt, je sais que vous ne changerez pas car votre sérénité est grande.

Clotilde